Si le réalisateur Ermanno Olmi, à supposer qu’il sache de quoi il s’agit, avait eu l’idée de faire un film sur un artiste minimaliste, son sujet n’aurait pas pu être autre qu’Ettore Spalletti, décédé hier à 79 ans. Spalletti était, à une époque de mondialisation sauvage, l’un des derniers représentants du genius loci, ayant toujours vécu et travaillé là où il était né en 1940, à Capelle sul Tavo en Abruzzes, même s’il était reconnu par les grands commissaires internationaux. Depuis là‑bas, il n’avait peut‑être pas conquis le monde — toujours que cela l’eût jamais intéressé — mais il avait certainement attiré sur lui l’attention d’un univers de l’art sophistiqué et silencieux qui était allé le chercher.
Les artistes italiens invités à la très prestigieuse Documenta de Kassel en Allemagne tous les cinq ans se comptent sur les doigts de deux mains, et Spalletti en faisait partie. En 1982, il fut invité par le commissaire néerlandais Rudi Fuchs, et en 1992 par Jan Hoet, commissaire belge. Son art était un cocktail de Piero della Francesca et de Donald Judd. Le sien était un minimalisme méditerranéen où la perfection et la précision laissaient place à quelque merveilleux et volontaire accident formel souligné délicatement par l’or.
Maître d’un Zen précieux, Spalletti a souffert du fracas sauvage qui a envahi le monde et le marché de l’art durant les vingt dernières années. Ses œuvres étaient à la fois tableaux, sculptures, objets, fragments du néant doté d’espace comme Saint‑Augustin décrivait le vide. Bien qu’il vécut à cent quarante kilomètres de Recanati, l’art de Spalletti semblait une version muette de la poésie de Leopardi. Dans les couleurs délicates qu’il utilisait, le regard du spectateur se perdait ou faisait naufrage dans un infini de tranquillité.
En 1993 Germano Celant invita Spalletti à une exposition au Guggenheim Museum aux côtés de l’artiste américain Haim Steinbach. Une combinaison seulement apparemment bizarre. Les objets trouvés posés sur des étagères de formica industriel brutal de Steinbach, associés aux surfaces colorées de Spalletti, créaient un dialogue unique entre les deux âmes de l’art : celle du matérialisme des images et des objets, et celle de la pureté sublime délimitée exclusivement par les frontières du tableau ou de la sculpture.
Mais le Spalletti que je garde le plus en mémoire est celui que je vis il y a quelques années à Bologne à la Galleria d'Arte Maggiore, où ses œuvres étaient mises à côté de celles de Morandi, un autre génie local qui, dans la simplicité des choses, avait découvert un univers. Les bouteilles de Morandi et les espaces de Spalletti étaient comme des voix dans un duo entre deux sopranos. Légèreté et puissance. Deux qualités que seuls quelques très grands maîtres ont été capables de créer et de maîtriser dans l’histoire de l’art.