À Bologne, Sandro Chia révèle le double visage de l’art

Le maître de la Trans-avant-garde italienne présente à Bologne un dialogue intense entre peinture et céramique. Dans l’exposition "À travers le feu, dans le signe", les œuvres fusionnent matériaux et significations, transformant chaque pièce en un récit visuel vibrant et profond.
Nicoletta Biglietti, Mai 28, 2025

La céramique et la peinture : deux univers en apparence éloignés qui instaurent, à la Galleria d’Arte Maggiore g.a.m. de Bologne, un dialogue serré mais fascinant, grâce à l’un des protagonistes majeurs de la Trans-avant-garde italienne, Sandro Chia (Florence, 20 avril 1946). Entre grandes toiles, titres énigmatiques et céramiques presque inédites, l’exposition, intitulée "Sandro Chia. À travers le feu, dans le signe", visible du 29 mai au 25 juillet 2025, se présente comme une célébration et une exploration de la poétique du maître. L’artiste met en scène une contamination savante et audacieuse entre la céramique, solide et terrienne, et la peinture à l’huile, fluide et mouvante, dans une dialectique capable de faire dialoguer des formes d’expression opposées par leur nature, leur technique et leur "statut symbolique".

Car dans leur contraste apparent, ces langages se complètent : la peinture exalte l’expressivité du geste, la céramique restitue le poids physique du signe, dans une alternance de heurts et de rencontres qui imposent des pauses, des détours et des relances visuelles. Chia démontre ainsi une rare polyvalence technique, alliée à une maîtrise extraordinaire des matériaux, capable de transformer chaque support en prolongement de son monde intérieur.

Comme l’écrit Franco Bertoni dans le catalogue de l’exposition "Sandro Chia. Céramique vs Dessin 1:0", tenue au MIC – Musée International de la Céramique de Faenza en 2011, "c’est un état de grâce que Chia recherche, car lorsqu’on est 'ahuri et perplexe, on voit plus de choses'." À cela s’ajoutent les titres des œuvres qui, loin d’éclaircir le propos, "doivent transmettre le même état de stupeur que ressent l’artiste lorsqu’il travaille".

Le résultat est une exposition qui ne se limite pas à montrer des œuvres, mais qui met en scène une confrontation vivante entre les langages, permettant de mieux comprendre la position de Chia au sein de la Trans-avant-garde italienne. Ce mouvement artistique, théorisé par Achille Bonito Oliva au début des années 1980, marquait une rupture – mais aussi un retour – dans un contexte dominé par l’abstraction conceptuelle et le minimalisme. Il s’agissait d’un retour à la peinture, à la figuration, au récit visuel, mais la Transavanguardia était aussi une invitation à redécouvrir le plaisir du regard, à se réconcilier avec l’art par les formes, les corps, les couleurs et les références culturelles stratifiées.

Chia a embrassé cet esprit avec originalité et une ouverture marquée à la contamination entre langages différents, mêlant tradition et expérimentation, culture "haute" et "basse", matière et pensée. Les œuvres sélectionnées pour cette exposition le démontrent avec force : Chia ne choisit pas un langage, il les habite tous, passant avec aisance d’un support à l’autre sans jamais sacrifier l’intensité visuelle et conceptuelle de ses images.

Un rôle central dans ce dialogue entre mondes est joué par les œuvres en céramique, dont beaucoup ont été réalisées dans la célèbre Bottega Gatti de Faenza, véritable foyer artistique pour plusieurs générations de maîtres. Parmi les plus emblématiques figurent les Cornici (Cadres), une série qui synthétise mieux que toute autre l’union (et le conflit) entre la légèreté du dessin et la force sculpturale de la céramique. L’œuvre se dédouble et s’unit : la vedette n’est pas "seulement" la céramique, mais aussi le dessin sur papier que l’artiste y insère. Deux techniques, deux matériaux, deux mondes apparemment en opposition, qui se font face et se fondent.

"Une combinaison troublante, explosive", comme le définit Chia lui-même dans l’entretien publié dans le catalogue de l’exposition de Faenza, recueilli par Franco Bertoni et édité par Umberto Allemandi & C.E. Il poursuit avec une réflexion chargée de sens : "La céramique résiste au feu, elle est pratiquement indestructible. Le dessin est du papier : il craint même la lumière, se désagrège dans l’eau, le feu l’incinère. En raison de sa fragilité, le dessin a dû mériter sa noble réputation par d’autres moyens […]".

Cette dialectique entre résistance et fragilité se retrouve dans d’autres séries exposées, comme celle des Mappemondi (Mappemondes) : des bases solides en bronze, matériau éternel et classique, soutiennent des hémisphères en céramique, en équilibre entre forme et déformation. Un geste poétique qui fige le contraste entre ce qui dure et ce qui se dissout, entre la pesanteur du temps et la légèreté de l’imaginaire. Dans l’espace de la galerie, à côté de ces œuvres en dialogue, prennent également place des têtes de gorilles et des Babbi affligés, dans une fresque visuelle qui puise autant dans la culture savante que dans celle populaire. Chia n’a pas peur de superposer des registres différents, de mêler symboles et signes dans une stratification sémantique qui défie toute tentative de classification unique. Chaque pièce est une énigme ouverte, un récit visuel nourri d’ambiguïté, d’ironie et de pathos.

Même les titres des œuvres participent à ce jeu de miroirs. Certains décrivent, d’autres embrouillent, beaucoup suspendent le sens, laissant au spectateur le soin – et l’honneur – d’une seconde lecture plus profonde. "Le titre ou le texte qui accompagne le tableau a pour fonction de suggérer un état d’âme, de créer une suspension, un doute." Il y a, au fond, une invitation subtile mais puissante adressée à celui qui regarde : ne pas s’arrêter à la surface, entrer dans l’œuvre, accepter le défi du sens. Car rien, dans le monde de Chia, n’est une "simple" représentation : tout est tension, court-circuit, récit inachevé. C’est une œuvre d’art qui interroge, qui construit des ponts entre des mondes lointains – comme la céramique et la peinture – et qui, à travers son langage visuel, restitue la complexité et la beauté de la pensée contemporaine.

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